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02 juin 2022

« Manager du monde » ou comment le leadership dépasse les frontières culturelles

De l’Afrique à l’Asie, en passant par le Moyen-Orient et la France, Jean-Noël peut être qualifié de « serial expat ». Ses 17 années à travailler dans 6 pays, sur des fonctions de management hiérarchique et transversal, lui ont permis sans l’ombre d’un doute de devenir un « manager du monde » pour lequel ouverture d’esprit, volonté de comprendre l’autre et adaptabilité sont les maîtres-mots.


Jean-Noël Robert 
TBS 1995
Head of Business Development – Airbus Corporate Jets

Peux-tu nous décrire rapidement ton parcours ?

À la sortie de l’école en 1995, j’ai démarré un CSN (ancien statut du VIE) chez Schneider Electric en Arabie Saoudite sur un poste de contrôleur de gestion. Après un court passage à la Direction Internationale à Grenoble (de 1997 à 1999), je suis à nouveau expatrié en Corée du Sud en tant qu’Acting DAF, puis reviens en 2022 en France pour participer à un projet stratégique au niveau du groupe. En 2004, je m’installe au Sénégal pour prendre en charge l’activité Afrique de l’Ouest.

Une opportunité chez Airbus (où j’avais effectué un stage quelques années plus tôt) me permet de rejoindre la direction vente d’avion de la région Moyen Orient basée à Dubaï en 2006, pour ensuite intégrer deux ans plus tard la Division Airbus Corporate Jets (ACJ) pour la zone Asie du Nord. En septembre 2010, avec l’ouverture de bureaux en Chine, Japon et Corée, j’emménage à Hong Kong, toujours pour ACJ. Six ans plus tard, je retourne en France au siège d’Airbus à Blagnac, comme responsable global du business development d’ACJ.

 

As-tu pu observer des différences culturelles en terme de management ?

Il y a évidemment des spécificités locales qu’il faut savoir intégrer rapidement. La gestion du temps en est une bonne illustration : les Coréens par exemple se déplacent presque tous toujours à la même heure, ce qui génère des embouteillages effarants sur des créneaux fixes. Une habitude à assimiler pour bien choisir les horaires de ses réunions et trajets ! Au Sénégal, il sera préférable d’éviter les heures de sortie de la prière du vendredi pour s’assurer de la disponibilité de tous les membres de son équipe. Ce n’est pas pour autant que les projets avancent moins vite ou que l’atteinte des objectifs est compromise : le temps n’est juste pas toujours une donnée linéaire au sens occidental du terme. Il faut simplement s’adapter à ces coutumes et faire preuve de souplesse. Et c’est parfois bon de savoir prendre son temps, plutôt que de laisser le temps dicter son agenda. D’ailleurs, depuis le Sénégal, je ne porte plus de montre et ce principe s’applique très bien dans tous les pays !

 

Est-ce la culture ou la personnalité qui fait qui on est ?

 

Avec le recul, ces divergences culturelles ne représentent qu’une partie d’un ensemble beaucoup plus complexe expliquant les différences. J’ai pu constater que globalement ces disparités sont davantage liées à la conjoncture de l’entreprise et plus encore aux personnalités qui la composent, à la diversité humaine finalement. L’empreinte culturelle n’est qu’une composante de la personnalité d’un individu : un bon manager se doit d’intégrer les spécificités de chaque collaborateur, dont l’éventail est bien plus vaste que sa nationalité ou son pays d’origine. A contrario, quelle que soit l’origine culturelle, vous pouvez trouver de fortes similitudes selon la fonction occupée. Prenez le métier de vendeur par exemple : la majorité des gens vous diront que ce sont des « baratineurs » (sourire) ; les comptables se feront eux taxer de personnes trop rigides et ce quel que soit le pays où vous vous trouvez !

Comment expliques-tu ces similitudes comportementales observées au sein des différentes cultures ?

Pour ces exemples précisément, je dirais que certains comportements s’accordent mieux avec certaines fonctions : si vous êtes trop rigide, vous n’allez pas pouvoir vendre, quelle que soit votre culture. Si vous n’êtes pas assez rigoureux, vous n’allez pas pouvoir tenir des comptes de manière durable. Et pourtant on trouve des vendeurs et des comptables dans tous les pays depuis la nuit des temps. Plus globalement, le libéralisme économique, la vitesse et le volume des échanges, bref la mondialisation a engendré une homogénéisation des processus. Ceci se vérifie par exemple dans la fixation des objectifs et l’évaluation des performances des collaborateurs au sein des entreprises, où qu’elles soient situées géographiquement parlant. Et quand vous utilisez au quotidien une langue unique pour travailler, comme c’est mon cas depuis le début de ma carrière, les barrières et les différences à la communication baissent.

Cela ne veut pas forcément dire que les différences culturelles ont tendance à s’atténuer. Au contraire, il s’agit plus d’une intégration, voire un mix global des cultures qui se retrouvent distribuées : au risque de tomber dans les clichés, on peut rencontrer des Japonais plus détendus que des Sénégalais et des Chinois plus maniaques que des Allemands ! Finalement, plus on expérimente de styles différents, plus on a une chance de trouver le bon ton pour optimiser les résultats dans chaque situation qui sera forcément différente d’une autre. En cela, je parlerais plus volontiers de leadership international que de leadership géographique.

Quelles sont les qualités que tu as dû et su développer en tant que « manager du monde » ?

Vivre dans différents pays, c’est pouvoir bénéficier non pas d’une seule mais de plusieurs cultures. Cette richesse culturelle peut être vécue comme une force et pour autant chaque nouveau pays nous fait découvrir de nouvelles façons de voir et penser. Mon fils, né en Corée du Sud, ayant grandi en France, au Sénégal puis aux Emirats Arabes Unis, m’a fait la remarque à juste titre en arrivant à Hong Kong : plus on sait, moins on sait. Bien que déjà exposé à 4 pays différents, ce jeune adolescent a dû revoir ses repères et sa grille de lecture pour évoluer sereinement dans ce nouvel environnement et le reste de la famille aussi d’ailleurs ! Une belle leçon d’humilité. C’est sans aucun doute la première qualité indispensable, ainsi que l’ouverture d’esprit : accepter de ne pas savoir, savoir s’affranchir des schémas préétablis et avoir une volonté indéfectible de vouloir comprendre sans juger a priori.

Lors de ma première expatriation, en Arabie Saoudite, je travaillais avec 21 nationalités, c’était le choc des cultures, mais aussi une richesse incroyable. Cela demande certes une gymnastique de l’esprit assez importante pour appréhender les différents points de vue, mais c’est aussi une aubaine pour envisager une problématique sous différents angles. Enfin, comprendre la culture pour pouvoir mieux se l’approprier et voir ensuite comment la tourner à notre avantage. Il m’est ainsi arrivé de devoir prendre le contre-pied des codes culturels afin d’être plus productif. En Corée par exemple, les processus de validation se font en fonction de la séniorité : un junior ne pourra pas faire valider un dossier à son manager sans passer par son collègue senior, même si ce dernier n’a pas de rattachement hiérarchique sur lui. Il a fallu casser - non sans peine - cette façon de fonctionner afin de gagner en efficacité au sein de l’équipe. Chose qu’il est plus facile à imposer quand on vient de l’étranger, car quel que soit le pays, les habitudes ont la peau dure !

 

Il m’est ainsi arrivé de devoir prendre le contre-pied des codes culturels afin d’être plus productif.

 

Si tu avais des conseils à donner à nos Alumni désireux de se lancer dans l’aventure de « serial expat » ?

Vivre le pays. En premier lieu, on écoute, on regarde, on ne juge pas, on essaie de comprendre et d’apprendre… Surtout ne pas s’imposer et accepter que l’autre pense et agisse différemment de par son langage, sa culture et son histoire. En Corée par exemple, ne soyez pas surpris que les autochtones vous bousculent dans la rue sans prendre la peine de s’excuser. Ne connaissant pas votre statut social, ils ne savent tout simplement pas comment vous aborder car la formule de politesse est différenciée en fonction de son statut. Une fois qu’on le sait, on ne s’offusque plus de ces réactions et dès lors que l’on fait l’effort d’intégration, on peut découvrir ô combien les asiatiques sont chaleureux et vivants.

La vitesse à laquelle les choses changent est également à prendre en compte : il y a quelques temps, un taxi pouvait vous “regarder de travers” quand vous parliez Mandarin à Hong Kong, alors que c’est accepté maintenant. La seule chose qui est constante finalement, c’est le changement, y compris pour les cultures dites “fortes”!

Enfin, parce que l’expatriation vous confronte de manière forte et immédiate à la différence, elle va faire ressortir peut-être plus rapidement vos propres traits de personnalité et votre capacité ou incapacité à vous adapter. C’est un véritable « catalyseur de personnalités ». Le défi étant de sélectionner parmi toutes les expériences vécues les bons « ingrédients » pour trouver la façon la plus juste de vous réaliser au sein de votre pays d’accueil. Une sorte de cuisine ou mixologie internationale en somme !

Auteur

Le digital est depuis plus de 10 ans le fil conducteur de mon parcours professionnel : j’ai ainsi développé mon expertise dans les métiers du Marketing, de la Communication et des Ressources Humaines au sein de grands groupes industriels.

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