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28 juillet 2023

Les entreprises peuvent continuer à prospérer tout en ayant des modèles différents

Publié par Grégoire ANTOINE (TBS Education 2005) | N° 105 - Entreprises et sobriété

Les entreprises peuvent continuer à prospérer tout en ayant des modèles différents

 

Arnaud NAUDAN [TBS Education 2006]

CEO de BDO France

Arnaud est  aujourd’hui Président du Directoire de BDO France, 5e réseau mondial d’audit et de conseil. Il préside l’entité française qui représente aujourd’hui 1800 collaborateurs et 200 millions d’euros de CA. Il est sorti de TBS Education en 2006 et a fait toute sa carrière en cabinet d’audit, en commençant au Luxembourg, puis est parti chez PwC à New York et a rejoint BDO en 2012. Petit à petit, il a gravi les échelons de la société jusqu’à obtenir la direction du site de Paris en 2019. Durant la crise du Covid, il a eu envie d’aider BDO à clarifier son positionnement, pour avoir une stratégie claire et un réel impact positif dans la société, et a donc travaillé pour être élu Président du Directoire, depuis le 1er janvier 2021.

Bonjour Arnaud, tout d’abord merci d’avoir accepté de répondre à cette interview et de prendre le temps de partager avec nous ta vision de cette thématique ô combien d’actualité, ‘La sobriété et les entreprises’. Le mot ‘sobriété’ est mis en lumière depuis quelques mois comme résultante de facteurs environnementaux et économiques mondiaux : pandémie du CoviD, prise de conscience massive des défis environnementaux, crise énergétique… En tant qu’individu d’abord, toi Arnaud, qu’est-ce que cela t’évoque ?

 

Personnellement, je n’étais pas du tout sur ces sujets avant le Covid. J’ai eu une réelle et profonde prise de conscience durant la période de confinement en 2020. J’ai très mal vécu le confinement, je fais beaucoup de sport outdoor et d’alpinisme, et ça m’a permis de prendre du recul. La montagne, quand on y passe du temps, est un marqueur fort du réchauffement climatique, ce sont des choses que l’on constate. C’est vraiment là que ma conscience écologique est apparue, et que j’ai commencé à prendre des décisions pour limiter mon propre impact, comme adapter mon agenda pour éviter les déplacements. Je me déplace beaucoup moins qu’avant.

A titre professionnel, c’est également là que je me suis demandé à quoi servait BDO. Comment faire en sorte que cette entreprise ait une contribution positive ? Comment continuer à délivrer de la rentabilité pour nos actionnaires, mais également mieux partager la valeur, et comment contribuer de manière générale à la prise de conscience et aux efforts associés ? 

 

Un des objectifs de la qualité de société à mission, c’est de rendre centrales les ambitions RSE d’une entreprise, au lieu de les cantonner à un service, en périphérie de la stratégie.

 

Comment cela s’est traduit pour BDO ?

 

C’est là qu’est née l’idée d’adopter la qualité de société à mission. C’est le dispositif le plus ambitieux pour aligner performances, bien commun et impact positif. 

Un des objectifs de la qualité de société à mission, c’est de rendre centrales les ambitions RSE d’une entreprise, au lieu de les cantonner à un service, en périphérie de la stratégie. Cette ambition de réduire les externalités négatives se retrouve au cœur de la stratégie. 

Pour chaque décision stratégique, on regarde désormais si elle est en lien avec la mission qu’on s’est donnée. C’est le principal changement, la révolution même dans la gouvernance. On en a beaucoup parlé en interne au début, et à la question ‘Qu’est-ce que ça 

va changer au quotidien ?', je répondais ‘En théorie, si on fait bien le travail, cela devrait tout changer’. 

Dans les quatre grands métiers que l’on exercent - auditeur, expert-comptable, avocat et consultant - le socle commun est que nous avons l’oreille des dirigeants. Ils nous font confiance et je suis convaincu que c’est par les entreprises que les lignes peuvent bouger. Les pouvoirs publics peuvent mettre en place des réglementations, les individus peuvent adopter des gestes pour réduire leurs impacts, mais le lien principal de cohésion sociale, c’est l’entreprise. Donc c’est fondamental que l’entreprise s’engage dans la transition, via les dirigeants. Notre ambition, c’est de capitaliser sur cette relation que nous avons avec les entreprises pour les sensibiliser et pour les encourager à adopter des modèles plus responsables, plus éthiques et plus durables. 

 

Comment est-ce que ce nouveau statut et ce virage serré vers une nouvelle stratégie a été reçu et adopté, à tous les niveaux de l’organisation BDO ?

 

Quand nous avons voté l’adoption du statut de société à mission, cela a été voté à 96%. Il y avait une très forte adhésion à ce projet dans la gouvernance. Ça a été un projet collaboratif avec toutes les parties prenantes pour concevoir cette raison d’être. Ça a permis que ce dispositif soit bien reçu et bien accueilli par les collaborateurs. Je sens que nous avons répondu à une attente. Je le sens dans les entretiens de recrutement, ce n’est pas juste une mode, c’est une véritable attente notamment pour les jeunes diplômés, que l’entreprise ait une mission. 

 

Comment gérer le risque que certains n’y voient qu’une décision opportuniste, qu’une stratégie pour être bien vu ?

 

La démarche était sincère, donc je ne voulais absolument pas que nous soyons taxés de ‘mission washing’, d’entendre que c’est n’était qu’une opération de communication. 

C’est un dispositif contraignant qui demande des investissements : nous avons recruté des personnes en charge de mesurer notre impact, nous avons structuré notre gouvernance avec un comité de mission composé d’un mix de personnalités externes et de salariés doté d’un vrai pouvoir, avec le rôle de nous challenger dans nos décisions. J’utilise souvent l’expression ‘capitalisme des parties prenantes’, qui remplace le ‘capitalisme des actionnaires’, qui permet aux entreprises de s’ouvrir et d’intégrer leurs parties prenantes dans leurs décisions stratégiques. 

Ce qui ressort pour les entreprises, et qui est vraiment ressorti depuis l’été caniculaire que l’on a eu, c’est que cet enjeu aujourd’hui est inévitable : soit le dirigeant s’est laissé convaincre et l’entreprise va changer la manière dont elle fonctionne pour limiter ses impacts, soit le dirigeant n’est pas convaincu mais va prendre conscience que cela devient un enjeu business. Les grands groupes notamment, mais beaucoup d’entreprises définissent une trajectoire de réduction de leur impact sur la biodiversité, le carbone etc. et par effet de diffusion, cela va venir impacter toutes les entreprises. 

 

J’utilise souvent l’expression ‘capitalisme des parties prenantes’, qui remplace le ‘capitalisme des actionnaires

 

Comment concilier cette volonté légitime de croissance, de rémunération des actionnaires, d’innovation, liée à notre société moderne, avec cet objectif de sobriété ?

 

C’est toute la complexité. Bien sûr avec BDO j’ai des objectifs importants de croissance, et je me suis demandé parfois si je n’étais pas incohérent en prônant un modèle responsable tout en voulant une croissance soutenue. 

La question de la décroissance, qui il y a encore quelques années était perçue dans l’univers corporate comme une vision irréaliste, commence à se poser dans des conseils d’administration de très grands groupes. Des personnalités comme Jean-Marc Jancovici soutiennent que la décroissance est programmée, du fait des limites de nos ressources.

Je pense que les entreprises peuvent continuer à prospérer tout en ayant des modèles qui sont différents. De nombreuses études démontrent que beaucoup d’entreprises qui ont adopté des pratiques responsables sont plus performantes aujourd’hui, recrutent mieux via une marque employeur plus forte, etc. A mon sens ce n’est pas irréconciliable. Je pense qu’on peut faire de la croissance et trouver de nouveaux marchés à partir du moment où, à chaque décision, la question est posée de savoir si nous sommes cohérents avec les objectifs que nous nous sommes fixés. 

 

Quels sont tes conseils pour les dirigeants d’entreprise qui sont convaincus et qui veulent changer leur modèle, mais qui veulent éviter ce fameux ‘mission washing’ ?

 

La première chose, c’est que cela doit venir du dirigeant. Il doit être convaincu, porter le projet et l’incarner. 

Ensuite, c’est la cohérence. Toujours se poser la question, dans chaque décision stratégique, si l’orientation prise est cohérente par rapport à la mission, aux valeurs. C’est en cela que le statut de société à mission est efficace. 

 

D’un point de vue de l’entreprise, une entreprise de services comme BDO peut s’interroger sur les moyens de consommer plus sobrement. Comment faire passer ce type de message en interne ? Comment créer une culture d’entreprise efficace en termes de sobriété ? 

Tout le monde est concerné, mais nous sommes dans une industrie de service qui ne consomme pas une ressource particulière comme peuvent le faire certaines industries ou l’agriculture.

 

Le gros de notre impact environnemental, ce sont les déplacements. Dans notre bilan carbone, 80% de nos émissions carbones sont liées aux déplacements professionnels. Typiquement, à titre personnel, je suis passé d’être en déplacement trois jours par semaine il y a quelques années, à un seul déplacement en avion en 2022, à San Francisco. C’est la règle pour les associés, nous y allons uniquement si c’est un enjeu business très important. Les collaborateurs se déplacent beaucoup moins, et on se rend compte que nous continuons à faire des affaires et à atteindre nos objectifs. Cela prouve bien que c’était irresponsable de prendre un avion pour aller faire une réunion à Zurich ou à Londres. Nous faisons les réunions en visio, tout le monde est moins fatigué, et on peut se consacrer à d’autres choses plus vertueuses. J’interdis l’avion lorsqu’il y a une solution train également. 

 

Un dernier mot sur ce thème de la sobriété ?

 

Ce qui est important, c’est de comprendre le sujet. La première étape, c’est de mesurer son impact : aussi bien positif, comme sa contribution économique et sociale, mais aussi négatif, via une analyse produit par exemple. Comment est fabriqué mon produit, comment est-il transporté, comment dans toute ma chaîne de valeur je peux mettre en place des mesures pour limiter son impact ? 

 

 

 


Propos recueillis par Grégoire ANTOINE TBS Education  2004 

Auteur

Grégoire ANTOINE (TBS Education 2005)

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